La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé est votre première série, après huit films (notamment Les Amours imaginaires et Laurence Anyways). Comment vous êtes-vous emparé de la grammaire spécifique à ce format ?
J’ai approché cette série comme j’ai approché tous mes projets, avec énormément de passion. Ce qui a changé, c’est surtout le fait d’avoir pu la préparer longuement. La pandémie m’a permis de me déposer, de remettre en question énormément de choses au niveau de ma démarche, du processus créatif. En même temps, je voulais créer une série semblable à celles que j’avais toujours aimées, comme Six Feet Under. Je savais que le temps était compté différemment, qu’il y aurait des nuances rythmiques par rapport à un film. Et j’ai aussi écrit parce que je voulais avoir le plaisir d’embrasser et de jouer avec les codes de la télévision avec laquelle j’ai grandi. Au cours de ma vie, je les ai absorbés, admirés chez d’autres, sans forcément pouvoir les appliquer. Par exemple, j’ai veillé lors de l’écriture à ce que chaque épisode se termine avec un cliffhanger [une situation de suspense, ndlr] efficace. Cela ne m’a pas empêché pour autant de prendre mon temps pour exposer les enjeux et dévoiler les personnages dans toute leur vulnérabilité.
Anne Dorval, à qui vous avez confié beaucoup de rôles de mères, jouait celle de votre personnage dans votre tout premier film, J’ai tué ma mère (2009). Quatorze ans plus tard, c’est de nouveau le cas. Qu’est-ce que cela change de travailler avec une actrice que vous connaissez si bien ?
Entre nous, il y a l’art et puis il y a la vie. On a créé pas mal de choses ensemble, pas mal de choses chacun de notre côté aussi… quoiqu’en ce qui me concerne, c’est surtout avec elle (rires). Évidemment, à chaque film on évolue. Ce qui demeure constant dans notre collaboration, c’est la recherche de quelque chose de nouveau. Oui, Anne Dorval a toujours incarné une mère dans mes films et ma série mais nous n’avons jamais parlé de ses personnages en ces termes parce que ce n’est pas intéressant. Ce qui l’est, c’est l’individu, sa complexité, ses contradictions. Dans tous ces personnages qu’on a traversés ensemble, il y a toujours cette fameuse incommunicabilité avec les autres, les enfants, les sœurs, les proches. Il y a toujours cette façon de vouloir crier très fort “Je t’aime” à quelqu’un, mais ce qui sort c’est : “Je te déteste !” C’est toujours complexe la famille. Même dans les relations les plus heureuses, saines et pures, il y a toujours cette rage de vivre, ce besoin d’être dans un conflit. Ceux qui le nient mentent. Avec Anne, on l’a exploré ensemble sous énormément d’angles, de tons, de textures, de couleurs, de classes sociales. Cette recherche-là nous amène vers les détails les plus humains. On l’a commencée avec J’ai tué ma mère et je crois qu’elle ne sera jamais assouvie.
Pourtant, vous avez expliqué récemment au Journal de Montréal être “tanné” du métier de réalisateur. Qu’est-ce qui a changé ?
Avec Laurier…, qui ratisse très large sur la vie, la mort, le deuil, la famille, j’ai touché à énormément de sujets qui me sont chers. J’ai l’impression d’avoir bouclé la boucle avec toutes mes obsessions. C’est plutôt logique que cela soit fait avec une série d’ailleurs. Présentement, je n’ai plus d’idées. Ou plutôt, depuis la pandémie, j’en ai eu pleins mais je n’arrive jamais à aller au bout. Je n’ai plus le désir pour les raconter. Il y a d’abord un épuisement. J’ai fait beaucoup de films en 14 ans et j’ai besoin de reconstruire mon désir envers cette profession. La préparation et le tournage sont toujours exaltants mais tout ce qu’il y a après, le montage, la post-production, ne m’intéresse plus beaucoup. J’ai énormément donné à cette passion-là et j’ai envie d’en développer d’autres, de m’intéresser à l’architecture, au décor intérieur, de voyager, de prendre du temps pour moi. Éventuellement, faire un peu d’argent ce serait bien (rires). Ensuite, dans mon cinéma, je raconte le côté très intime des choses. Et j’ai de la difficulté à trouver une pertinence dans un monde pandémique, belligérant, en perdition totale. On dirait que tout part un peu en couilles. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les gens racontent des histoires beaucoup plus politiques, sociales, engagées et je ne sais pas si je ferais bien ce cinéma-là.